Mais qui Trotter a-t-il bien pu rencontrer dans les montagnes mexicaines!?
Aujourd’hui, moi le plus baroudeur des sacs à dos, je me sens tout petit. J’ai fait une rencontre qui m’a tourneboulé au plus profond de mes poches. Un voyageur, un vrai, un pur, le roi des voyageurs baroudeurs.
C’était il y a quelques jours. On était au Mexique, et les proprios voulaient aller voir des papillons. Autant j’adore les animaux, autant les papillons ça ne me branchait pas plus que cela, alors ça ne m’a pas dérangé quand les proprios m’ont laissé à l’hôtel.
La fenêtre était restée entrouverte, et c’est par là qu’est arrivé Bobby. Il n’avait pas l’air en très bonne forme et il s’est à moitié écrasé sur le lit.
« Ça va ? je lui ai demandé.
– Oui, oui, je suis bien au Mexique ?
– A ma connaissance oui ! Comment tu t’appelles ?
– Bobby, je suis né au Canada, et toi ?
– Trotter de France.
– Enchanté !
– De même ! Qu’est-ce que tu fais ici ? C’est loin le Canada !
– Oui, mais on est fait comme ça, nous les papillons monarques, on migre du Canada vers le Mexique ou inversement une fois dans notre vie. Mais moi, ça fait déjà 3 fois ! je suis fatigué ! »
Et c’est vrai qu’il avait l’air mal en point. Il lui manquait une patte, qu’il avait remplacée par une petite brindille. Il avait un petit trou dans une aile, rafistolée avec un morceau de feuille. Ses antennes ne tenaient plus droit, ce qui expliquait sans doute son arrivée dans la chambre.
« Comment ça se fait que tu en es à ta troisième migration ? Si tous tes camarades n’en font qu’une ?
– Je n’en ai aucune idée… Je n’ai jamais eu un sens de l’orientation très fort. Un comble pour un monarque ! Un jour, lors de ma première migration, je me suis perdu. A la nuit tombée, j’ai dû me poser dans un champ, je me souviens, c’était aux États-Unis. J’en ai profité pour me restaurer. Le pollen avait un goût bizarre mais j’avais très faim. Le lendemain, je me suis réveillé en me sentant surpuissant !
– Bah dis donc ! C’était quoi ton champ ?
– Du maïs !
– Aux États-Unis ? Du maïs ? Tu n’aurais pas mangé des OGM toi ?
– Je n’en sais rien, mais je suis une star chez les monarques maintenant ! Le plus vieux des rois ! Mais là ça devient un peu dur dur…
– J’imagine ! Tu as dû en voir des choses ! En vivre des aventures !
– Oui, c’est vrai… Mais tu sais quel est l’enseignement que j’ai tiré de tous ces voyages ?
– Non ! Dis-moi !
– La longévité m’a permis de faire plein de voyages, mais à chaque fois je perds mes copains de migration qui restent au Mexique ou au Canada finir tranquillement leurs vies, alors que moi je dois repartir dans l’autre sens, je ne peux pas m’en empêcher, c’est dans mes gènes! Et je n’ai personne avec qui partager ma longévité exceptionnelle, l’ai vu des tonnes de choses mais je n’ai personne avec qui partager, c’est vraiment triste…
– C’est vrai… moi aussi parfois je me sens seul même si je ne voyage pas tout seul. Faut dire que je ne parle plus à Globe…
– Tu as la chance d’avoir un compagnon qui t’accompagnera sur toute la route… A ta place, je me réconcilierais avec lui !
– Je vais y réfléchir… Et toi ? Qu’est-ce que tu vas faire ?
– Moi je crois que cette fois, c’est ma dernière, je vais pouvoir me poser sur un arbre là-haut dans la montagne et profiter de ma retraite.
– Dans ce cas je te souhaite d’en profiter ! » Et il est reparti comme il était venu. Il m’a tellement touché, il était à la fois fort, avec sa longévité exceptionnelle, et sensible, avec son grand sentiment de solitude… Je me suis un peu revu en lui, je suis aussi une sorte de roi des sacs à dos dans mon genre. Mais à quoi sert d’être un roi si on est seul ? Il est peut-être temps de me réconcilier avec Globe…